Trois ans après la sanglante répression du 20 octobre 2022, le Tchad panse encore ses plaies, pendant que le pouvoir se félicite d’un « accord de Kinshasa » taillé sur mesure. Amnistie pour certains, oubli pour d’autres. Pourtant les morts n’ont pas signé l’accord.
Le 20 octobre 2022 restera une date noire dans la mémoire collective tchadienne. Ce jour-là, des milliers de jeunes, d’étudiants, de militants et de simples citoyens sont descendus dans la rue pour dire non à la prolongation de la transition. Trois ans plus tard, malgré l’accord de Kinshasa, le souvenir de cette répression sanglante continue de hanter le pays. Entre amnistie politique et mémoire collective blessée, la réconciliation semble encore lointaine.
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Ce jeudi-là, le Conseil militaire de transition (CMT), dirigé par Mahamat Idriss Déby Itno, arrive à la fin des 18 mois de pouvoir qui lui avaient été accordés. Le Dialogue national inclusif et souverain (DNIS) venait pourtant d’entériner une prolongation de deux années supplémentaires. La rue a répondu par la colère, et le régime par les balles. Des dizaines de morts, des centaines de blessés, des arrestations massives, des disparitions inquiétantes et des déportations vers Korotoro. Human Rights Watch parlera plus tard de « torture organisée ».
Face à l’indignation nationale et internationale, le gouvernement tchadien a cherché à tourner la page. C’est dans cette logique que naîtra l’accord de Kinshasa, signé avec le parti Les Transformateurs. Ce texte, présenté comme un pas vers la réconciliation, prévoyait une amnistie générale : les manifestants du 20 octobre comme les auteurs des crimes d’État devaient être pardonnés. Mais dans les rues de N’Djamena, peu y croient.
Pour beaucoup de Tchadiens, l’accord de Kinshasa ressemble davantage à un arrangement politique qu’à un acte de justice. Les familles des victimes attendent toujours que la vérité soit dite. Trois ans après, ni enquêtes crédibles ni réparations n’ont vu le jour. L’État préfère brandir l’accord de Kinshasa comme un bouclier pour éviter de rendre des comptes.
Depuis sa signature, l’accord de Kinshasa est devenu une référence omniprésente dans le discours officiel. On le cite pour justifier la cohésion nationale, on l’invoque pour apaiser les tensions, mais sur le terrain, les arrestations et les intimidations contre les opposants se poursuivent. Les libertés publiques, elles, s’amenuisent.
Tant que la justice n’aura pas parlé, l’accord de Kinshasa ne sera qu’un document signé au stylo de l’oubli, un paracétamol politique qui soulage le pouvoir mais pas le peuple.
HIGDE NDOUBA Martin


