Culture

Culture et diplomatie : une directive qui ne manque pas de Sahel

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Rédigé par La Redaction

La France devient persona non grata dans le Sahel. Les coups d’État au Burkina Faso, au Niger, au Mali et au Gabon, souvent soutenus par la population, témoignent aussi d’un certain ras-le-bol de la complaisance française vis-à-vis des ploutocraties. Une situation géopolitique qui rejaillit sur la culture, avec une circulaire du ministère des Affaires étrangères particulièrement radicale…

Les coups d’État ont émaillé l’été 2023, avec des prises de pouvoir au Niger, fin juillet, et au Gabon, fin août. Dans le Sahel, la situation nigérienne vient s’ajouter à celles du Mali (2020) et du Burkina Faso (2022). Une instabilité politique qui ne fait pas franchement les affaires diplomatiques de la France : dans plusieurs pays, les autorités ont signifié que les troupes et bases militaires de l’Hexagone n’étaient plus les bienvenues.

Au Niger, l’ambassadeur français, Sylvain Itté, serait « pris en otage littéralement à l’ambassade de France », à Niamey, selon une déclaration d’Emmanuel Macron, le 15 septembre dernier. Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a exprimé « sa pleine solidarité » avec la France, ce lundi 18 septembre.

Un « ton comminatoire »

La semaine passée, le ministère des Affaires étrangères a transmis un message aux directions régionales des affaires culturelles (DRAC), les autorités déconcentrées du ministère de la Culture, avec comme instruction de les faire parvenir aux structures des territoires.

D’après le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac), ce « message au ton comminatoire demande à nos adhérents de “suspendre, jusqu’à nouvel ordre, toute coopération avec les pays suivants : Mali, Niger, Burkina Faso […]” ».

Tous les projets de coopération qui sont menés par vos établissements ou vos services avec des institutions ou des ressortissants de ces trois pays doivent être suspendus, sans délai, et sans aucune exception. Tous les soutiens financiers doivent également être suspendus, y compris via des structures françaises, comme des associations par exemple. De la même manière, aucune invitation de tout ressortissant de ces pays ne doit être lancée. À compter de ce jour, la France ne délivre plus de visas pour les ressortissants de ces trois pays sans aucune exception, et ce jusqu’à nouvel ordre.

Message des DRAC aux structures culturelles

Un message « inédit par sa forme et sa tonalité », dénonçait immédiatement le syndicat. Ce dernier déplore par ailleurs l’intervention d’enjeux diplomatiques dans des questions artistiques, interférant ici directement avec la liberté de création.

Simple mise en garde

Le Syndeac s’était logiquement rapproché de la rue de Valois, afin d’en savoir plus sur la portée réelle de cette directive : fallait-il suspendre les invitations d’artistes, dans le cadre de festivals ? Ou faire cesser d’éventuelles résidences ou tournées d’auteurs dans des établissements publics ?

Le 14 septembre, le ministère de la Culture tente déjà de rectifier le tir, dans Le Monde : « Aucune déprogrammation d’artistes, de quelque nationalité que ce soit, n’est demandée ni par le ministère des Affaires étrangères, ni par le ministère de la Culture. Pour des raisons de sécurité, la France a suspendu depuis le 7 août la délivrance de visas depuis Niamey, Ouagadougou et Bamako, ainsi que la mise en œuvre dans ces pays de nos actions de coopération culturelle. Cette décision n’affecte pas les personnes qui seraient titulaires de visas délivrés avant cette date ou qui résident en France ou dans d’autres pays. »

Ce 18 septembre, il s’est à nouveau exprimé sur le sujet, assurant qu’il était lié à la fermeture des services de visas dans les trois pays concernés, le Mali, le Niger et le Burkina Faso.

Les artistes basés dans ces trois pays qui ont déjà des visas pour des projets ou spectacles en France peuvent venir comme prévu. Les artistes vivants en France et originaires de ces trois pays ne sont en rien concernés, tout comme les artistes burkinabés, maliens ou nigériens vivant dans d’autres pays, qui peuvent se voir délivrer des visas.

– Le ministère de la Culture, message au Syndeac

Le syndicat salue le « changement de posture », et fait part au passage de sa « totale solidarité » avec les personnels des ambassades.

L’aspect inhabituel et quelque peu inquiétant des interventions des deux ministères n’a pas échappé à l’Observatoire de la liberté de création de la Ligue des Droits de l’Homme. Dans un communiqué cosigné par ses membres, l’entité demande « l’ouverture d’une discussion avec l’ensemble des acteurs culturels en France pour définir collectivement un cadre de coopération artistique apaisé, excluant toute instrumentalisation politique ».

Et pose trois questions cruciales :

  •  Pourquoi un si grand écart de traitement entre les artistes issus de ces trois pays et les artistes russes, dont seuls ceux qui avaient explicitement soutenu l’agression contre l’Ukraine ont été pénalisés ?
  • Dans quelle mesure l’arrêt ou la suspension des programmations culturelles malienne, nigérienne et burkinabée en France vient-elle affaiblir la légitimité des régimes parvenus au pouvoir récemment ?
  • Dans quelle mesure la suspension des seuls échanges culturels est-elle la réponse appropriée face à la détérioration des relations entre la France et ces pays ?
  • L’Observatoire de la liberté de création, communiqué du 20 septembre 2023

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